1961-1968 Chantiers hydroélectiques de Manicouagan-Outardes: des gains majeurs sur toute la ligne

Texte tiré du livre Cent ans de syndicalisme québécois dans la construction, publié par la CSN-Construction à l’occasion de son centenaire (1924-2024).

En 1957, après la victoire qui reconnaît leur syndicat CSN, les travailleurs de la construction du vaste chantier hydroélectrique de la Manicouagan établissent leurs revendications pour convenir d’une première convention collective avec la Commission hydro-électrique du Québec. Pour ces membres du Syndicat national de la construction de Hauterive, il importait d’étendre les conditions de travail qu’ils obtiendraient à tous ceux qui œuvreraient sur les chantiers, soit les « quelque 1,500 employés de l’Hydro, de ses entrepreneurs, sous-entrepreneurs et agents », affectés aux travaux de la Manicouagan, comme le précise Le Travail de juillet 1961. On sait que plus de 4500 ouvriers prendront part aux travaux d’envergure durant les années 1960.

L’édition de janvier 1962 du journal de la CSN rapporte que cette première négociation a permis de porter « le salaire de base de $1.45 à $1.70 pour la première année, et à $1.79 pour la deuxième année. Les travailleurs ont obtenu, en outre, 4 fêtes chômées et payées, ce qui n’était pas fréquent dans l’industrie de la construction ». Avant cette négociation, les conditions de travail sont déterminées par les ententes convenues avec les différents entrepreneurs œuvrant sur les chantiers de la Manicouagan.

C’est ainsi qu’au cours de l’automne 1961, les 250 membres de la CSN travaillant sur les chantiers de la Manicouagan pour Janin Construction font la grève pour obtenir la parité avec leurs camarades travaillant pour Hydro-Québec. En se mobilisant, ces ouvriers obtiennent également de leur employeur qu’il leur verse une rétroactivité salariale complète au 29 juin, un gain considérable, et une première, si on considère que la rétroactivité n’existe pas encore aujourd’hui dans le secteur de la construction !

Des « journées d’étude » au printemps

Le président de la CSN, Marcel Pepin, reçoit un bel accueil des membres du Syndicat national de la construction de Hauterive (CSN), lorsqu’il se rend à la rencontre des grévistes des chantiers de Manic-Outardes.

Au cours de 1966, les ouvriers de la Manicouagan sauront faire preuve d’une grande détermination et d’une cohésion sans faille devant l’arrogance des patrons d’Hydro. Et par deux fois, ils dresseront des piquets de grève pour leur faire entendre raison et obtenir le respect.

Le 11 mars de cette année-là, trois ouvriers sont congédiés pour avoir « expulsé » un contremaître du chantier Outardes-3 qu’ils accusent de favoritisme, en raison notamment des heures supplémentaires qu’il accorde arbitrairement. En outre, le contremaître en question a fait l’objet de 14 griefs au cours des 19 derniers mois. Comme le précise Le Devoir du 24 mars 1966, c’est plutôt la centaine de travailleurs qui œuvrent dans le secteur du contremaître en question, qui lui demandent de quitter le chantier. Les trois ouvriers sanctionnés sont ceux qui l’ont accompagné, dans le calme, à l’extérieur du chantier.

À la vue de ces congédiements, il n’en faut pas plus pour que les travailleurs d’Outardes-3 laissent tomber leurs outils et cessent le travail. Les dirigeants d’Hydro ripostent en suspendant indéfiniment les 146 délégués de chantier et agents de griefs, mettant le feu aux poudres aux quatre coins de la Manicouagan. En réaction, les ouvriers quittent un à un les cinq chantiers dans les jours qui suivent pour tenir des « journées d’étude ». La police provinciale est dépêchée sur les lieux. C’est la crise ! Se rendant sur place pour une tournée des chantiers à la rencontre des ouvriers, le président de la CSN, Marcel Pepin, suggère à Hydro de revenir à la situation d’avant le 11 mars. Le but est de calmer le jeu. Toutefois, vu les piètres installations où vivent les membres de la CSN sur les chantiers et à l’écoute de leurs témoignages, il demande que soit menée une enquête complète sur les conditions de vie qui existent sur les chantiers et sur les relations patronales-ouvrières. La vie dans les baraquements est pitoyable et les travailleurs en ont plus qu’assez. La proposition est refusée par les patrons.

Victoire !
Des négociations intensives ont cours durant plus d’un mois et se poursuivent jusqu’au bureau du ministre du Travail à Montréal où, le 18 avril 1966, une entente intervient à la grande satisfaction des milliers de membres de la CSN qui œuvrent sur les chantiers de la Manicouagan. Les suspensions sont levées, mais le cas des travailleurs congédiés est soumis au juge Evender Veilleux, qui agit comme commissaire-enquêteur.

Au cours de l’été, il remet sa décision, les ouvriers congédiés pourront reprendre leur travail le 11 septembre aux mêmes conditions qu’avant les événements et leur ancienneté est maintenue. Le conflit aura aussi permis de former un comité d’étude paritaire consultatif et permanent sur les problèmes de relations humaines à Hydro-Québec. Une première victoire en cette année 1966 ! Mais, déjà, un autre conflit de travail se profile.

Des travailleurs à l’œuvre sur une plateforme maintenue par une grue.

Onze jours de grève en août
À peine rentrés au travail, les quelque 4500 ouvriers des chantiers de la Manicouagan-Outardes se penchent sur leurs conditions de travail et sont fin prêts pour mener une autre bataille avec le géant Hydro, le « lion déchaîné ». Un autre choc s’annonce. La convention collective se termine le 4 juin 1966 et on ne leur offre que 0,10 $ l’heure pour chacune des deux années suivantes. C’est bien trop peu !

Les membres du Syndicat national de la construction de Hauterive (CSN) sont en appétit, car il y plusieurs choses à régler. Devant l’intransigeance de leur employeur, ils dressent de nouveau des piquets de grève dès 6 h le 2 août devant les cinq chantiers (Manic 1, 2, 5 et Outardes 3 et 4). Le conflit fera une fois de plus la manchette des quotidiens à travers le Québec, mais il durera moins longtemps que le précédent. Onze jours plus tard, une entente est conclue.

Plus de 95 % des membres acceptent les termes de cette nouvelle convention collective qualifiée de « modèle » dans l’industrie de la construction. Ce qui fait dire au directeur des relations ouvrières de la Fédération du bâtiment, Réal Labelle, s’adressant au quotidien Le Soleil de Québec : « Comparée point pour point, elle est, de beaucoup supérieure à celles qui existent à Montréal », assure-t-il.

Selon Le Devoir, « la nouvelle convention est assez proche des demandes syndicales, au début de la grève, et le président du syndicat, M. Lucien Poulin, n’a pas caché sa satisfaction à la suite de l’assemblée hier » (le 14 août).

Ancienneté, rétroactivité et… matelas à ressort !
Très rares dans les ententes convenues à cette époque, et complètement absentes de toutes celles qui ont suivi à ce jour, l’ancienneté, pour les mises à pied et le rappel au travail, ainsi que la rétroactivité des salaires sont obtenues par les grévistes. Encore aujourd’hui, ces revendications sont toujours portées par la CSN–Construction.

Les ouvriers obtiennent 0,45 $ l’heure au cours des deux années suivantes, dont 0,15 $ à la signature, et un montant forfaitaire de 75 $ en guise de rétroactivité des salaires au 4 juin précédent. Ils bénéficient aussi de huit congés payés, des vacances au taux de 6 %, couvertes par l’employeur, la réduction de la semaine de travail de 60 à 55 heures dès septembre, puis à 50 en mai 1967, et ce, avec pleine compensation !

En outre, le syndicat obtient la fin des classifications A et B à l’intérieur d’un même métier, un gain appréciable qui permettra aux ouvriers classés B d’obtenir un rattrapage salarial. Ce gain est une autre démonstration de la solidarité qui unit tous les membres de ce syndicat. Pas moins de 350 griefs sont déposés par le syndicat en raison de l’iniquité du système de classification. Par exemple, comme le rapporte Le Devoir, « sur 660 menuisiers employés par I’Hydro à Manic-Outardes, 20 seulement étaient dans la catégorie A. Tous les autres recevaient 18 cents de moins que le salaire de base de la catégorie A. […] L’Hydro paiera à chacun des 350 ouvriers qui ont soulevé un grief de classification, la moitié de la somme additionnelle qu’ils auraient gagnée si le grief avait été concédé, et ce à partir de la date où il a été soulevé ».

Les gains salariaux font en sorte que les syndiqués recevront en moyenne une hausse de près de 1 $ l’heure, au terme du contrat de travail, en 1968.
C’est sans compter l’engagement d’Hydro à fournir des matelas à ressorts à tous les ouvriers, une revendication qui avait été relayée par le président Marcel Pepin, lors de sa visite des chantiers au printemps 1966.

 

En raison des piètres installations où vivent les ouvriers sur les chantiers, la CSN réclame que soit menée une enquête complète sur les conditions de vie qui existent sur les chantiers et sur les relations patronales-ouvrières.

 

L’imposant chantier du barrage de Manicouagan. On remarque le quartier des baraquements au premier plan.